J'ai passé ma nuit dans les bras du docteur Law. Impossible pour moi d’échapper à des rêves torrides, bien loin de l'ambiance glaciale de la clinique ! Impossible de chasser son visage, son corps, son regard captivant, ses lèvres… Des fantasmes que je ne pensais même pas imaginables ont occupé ma nuit. Je ne peux pas le nier, j’avais l’air d’y prendre goût… Et ça ne me ressemble pas du tout ! Objectif numéro 1 : ne pas le croiser aujourd'hui.
Heureusement, il n’a pas de rendez-vous ce matin, j’ai le service rien que pour moi. Peindre me fera le plus grand bien, cela me fera oublier cette tension nocturne, plaisante, mais gênante.
Objectif numéro 2 : si je le croise, ne pas rougir !
Je dois surtout me reprendre ! Et lutter contre cette attraction qu’il exerce sur moi ! Je bosse pour lui, je suis en train de perdre de vue le cadre professionnel…
N’importe quoi ! Ces rêves-là ne vont pas m’aider à garder mes moyens en sa présence. Mais quelle bonne idée ce planning, en fait ! Pas besoin d’essayer de l’éviter ! Ne pas le croiser pendant quelque temps m’aidera à reprendre le contrôle sur moi-même. Ce n’est qu’une tocade, une lubie passagère. Je vais faire mon job et passer à autre chose.
Porter mon matériel n’est pas évident et il me faut faire quelques allers-retours de ma voiture à la salle d’attente du service pour arriver à tout décharger. Bâche plastique pour protéger la délicate moquette bleue, petit escabeau pour me faire gagner quelques centimètres, peintures et pinceaux… Tout y est. Heureusement, on me permet de stocker toutes ces affaires dans un local technique. Je n’aurai pas à déménager tout le temps et tout sera toujours très bien rangé.
Le lieu est calme. Après ma folle nuit, je peux enfin me détendre. Aucun signe de vie aux alentours, Mme Pic à glace n'est pas encore là… Je suis seule ! J’ai terminé mon croquis dans la soirée, je l’ai encore bien en tête mais je préfère l’exposer sous mes yeux en cas de doute… J’attrape mon pinceau, un pot de peinture bleue et je démarre les premiers contours de ma fresque. Je ne crains pas de me salir. Un vieux short coupé dans un jean usé, un débardeur blanc, mes cheveux attachés, je ne ressemble pas à grand-chose mais j’ai la tenue idéale pour mon travail.
Je monte, je descends, je prends un peu de recul, je reviens au mur. Je rectifie, trace… C’est dans ces moments-là que je me rends compte que le sport m’est utile : j’ai les muscles nécessaires pour peindre longtemps les bras tendus. Je souffre moins et je sais que ce soir, je n’aurai pas de courbatures.
Andrew a raison de se montrer exigeant ! Il faudra que je lui en parle…
Je ne vois pas l’heure avancer. Heureusement, j'ai enclenché la fonction réveil de mon téléphone pour me prévenir qu'il est temps de partir. Je ne voudrai pas tomber nez à nez avec une Léna Chaze hostile ou pire, un docteur Law encore plus séduisant… À midi, je dois avoir quitté les lieux.
J'ai beau me concentrer sur mon travail, mes pensées me ramènent inlassablement vers lui. Ce docteur Law est assez troublant : il y a deux jours il s’est montré exécrable et hier soir… Il était attentif, intéressé, plutôt charmeur même. Chaque fois j’ai été troublée. Je ne suis plus censée le recroiser avec ce planning. Mais ne pas le voir ne m’empêche pas de ne pas rêver de lui.
Et quels rêves…
Le pire, c’est que je ressens un peu de déception à l’idée de ne plus le voir… Son regard, cette lueur dans ses yeux, ses recherches sur moi, sur mes études ? Est-ce que je me fais des idées ?
Je rêve éveillée maintenant, comme s'il pouvait s'intéresser à moi !
Je sais que j’ai raison. Je m’emballe pour rien. Je dois juste apprendre à contrôler mes émotions. Je viens de passer ces dernières années à me consacrer à mes études et voilà où j’en suis : je me trouble devant le premier mec que je croise… Il faut qu’on sorte plus souvent avec Molly et Andrew !
Je chasse Noah Law de ma tête et me concentre à nouveau sur la fresque. Je veux avancer vite et bien. À tel point que je ne prends plus la peine de déplacer l’échelle pour mon confort. Je suis une funambule du pinceau !
- Vous avancez bien, fait une voix derrière moi.
Et pas n’importe quelle voix. Je sursaute, mon pinceau dans la main. Mon pied suspendu dans le vide essaie de retrouver le contact avec une marche, sans succès. Je perds l’équilibre, laisse échapper un cri, mon poids m’emporte et je manque de tomber…
Mais le docteur Law a de bons réflexes et je sens ses mains sur ma taille. Il me soutient, à bout de bras. Le contact de ses doigts sur mon corps me fait frissonner, cette fermeté dans les mains, cette force que je sens… Mon pied maladroit retrouve sa place et je descends les quelques marches qui me séparent du sol, toujours soutenue par ses mains sur ma taille. Mon souffle s’est accéléré. Je ne sais pas si c’est à cause de la peur de tomber ou de cette chaleur qui irradie sous ses paumes, mais mon cœur bat la chamade. Je vire au cramoisi…
La honte ! Je viens de m'étaler dans ses bras !
Le temps semble suspendu, je me sens gauche… Je me retourne enfin, Noah Law écarte ses mains. Quand j’ose enfin lever les yeux vers lui, je retrouve ce même éclat dans ses yeux, fugace. Son visage est grave, mais je n’y lis pas de contrariété. C’est autre chose…
Puis d’un coup, il s’éloigne de moi, place les mains dans les poches de son pantalon. Il est encore impeccable dans son costume sombre. Sa cravate bleu nuit met en avant ses cheveux blonds et aiguise encore plus son regard…
- Excusez-moi, je ne voulais pas vous surprendre. Vous pourrez le rattraper ? me demande-t-il en me montrant la fresque du doigt.
Je suis son mouvement. En sursautant, mon pinceau a effectivement eu un raté sur le mur. Cette petite virgule me fait sourire tant sa présence au milieu de mes premiers traits est incongrue.
- Oui, très facilement, réponds-je d’une voix que je veux la plus claire possible.
J’observe le docteur Law, ses yeux s’attardent sur le mur. Mais que fait-il ici ? Il n’était pas censé travailler ! Est-ce que je n’ai pas entendu mon alarme ?
- Bien. Je ne vous dérange pas plus, dit-il en tournant les talons.
J’attends qu’il soit entré dans son bureau pour me jeter sur mon téléphone. Il est 11 heures, je devais avoir encore une heure de tranquillité ! Je fais la moue. Ses mains sur moi… Je sens encore son étreinte, sa chaleur, comme une brûlure sur ma taille. Pendant une fraction de seconde, j’ai oublié ma peur de tomber. Il était là, prêt à me soutenir… Cette nuit dans mon rêve, il m’emportait presque de la même façon.
Je secoue la tête avant que mes pensées ne dérapent. Le docteur Law est juste à côté, il me reste une heure devant moi, autant essayer de ne plus glisser, chuter, bégayer ou je ne sais quoi encore. Je dois plutôt rattraper cette virgule disgracieuse…
Je souffle un bon coup et déplace cette fois mon escabeau. Ma dignité ne souffrirait pas une seconde chute, qui plus est dans la peinture. Je rattrape ma maladresse, et continue mon travail, m’interdisant de penser à Noah Law, là, juste derrière la porte dans son beau costume, ses cheveux blonds indomptés, des mèches rebelles tombant sur ses yeux… Je m’interdis de penser tout court.
Mais quelques minutes plus tard, des talons battent le sol. Le bruit se rapproche. Léna Chaze débarque et, sans un regard vers moi, frappe à la porte du bureau du médecin.
Je suis un caméléon, j’ai pris la couleur du mur, c’est pour ça qu’elle ne me voit pas…
Elle y entre sans attendre et laisse la porte ouverte. J’entends sa voix haut perchée, doucereuse, agaçante.
Bon, finie la tranquillité !
Je décide de stopper mon travail et de ranger mes affaires. J’ai bien avancé et je n’ai de toute façon plus le temps de me lancer sur autre chose. Du bureau, j’entends distinctement leur échange, j’ai beau essayer de ne pas écouter, leur discussion s’impose à moi.
- J’ai pu me libérer pour demain soir, donc si tu veux que je t’accompagne à la soirée, tu sais où me trouver, dit-elle sur le ton de la séduction.
« Tu sais où me trouver. » Si ça, ce n’est pas un appel du pied ! Plus subtil tu meurs ! Attends, mais elle essaie de le séduire, là ? !